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Mon PAssuly
23 mars 2016

Quelle liberté

Cette idée de liberté, nous l'avons vu, se produit tout naturellement sans exiger aucun effet de notre part, car elle provient de ce que nous ne faisons pas une analyse complète ni un complet calcul. Par un phénomène singulier, l'idée si utile de notre puissance volontaire provient de notre impuissance intellectuelle et de notre repos intellectuel. Les divers possibles nous paraissent alors coïncider dans la perspective intérieure, et cette apparence même les rapproche pratiquement. Dans une immense allée d'arbres, les arbres lointains semblent se toucher, parce que nous demeurons en repos sans aller vérifier jusqu'au bout; que serait-ce s'il n'y avait point de bout? La «conscience de l'indépendance» peut donc avoir pour fond réel l'inconscience de la dépendance. Soit un motif déterminé: il est clair que je puis ne pas le suivre,—si j'en suis un autre; mais cet autre à son tour, je puis ne pas le suivre. J'acquiers ainsi l'idée de mon indépendance générale par rapport à chaque motif particulier, et je finis même par me persuader que, si je vide la volonté de tout motif, il restera encore une puissance indépendante, une volonté pure et absolue analogue à la pensée pure d'Aristote. Il me semble même alors que je réalise en moi cette volonté et que j'en ai le sentiment ou la conscience. Mais, quand j'ai le sentiment de n'être pas nécessité dans un acte, ce peut être précisément parce que la nécessité y est entière. En effet, pour sentir une nécessité et une contrainte, c'est-à-dire au fond un obstacle, il y faut résister en quelque mesure et par cela n'être pas complètement entraîné; mais, si la nécessité se confond avec mon action même, ou plutôt avec mon vouloir, je n'ai plus que le sentiment d'une spontanéité entière. Il ne faut pas se figurer toujours la nécessité sous la forme anthropomorphique d'une contrainte matérielle, comme celle d'un bras contraint par un autre bras; elle peut être la volonté même et le moi; elle peut être tellement dégagée de résistances extérieures que toute idée de contrainte disparaisse et que la nécessité immanente se voie elle-même spontanéité. Puisque à tous les points de vue la conscience de la liberté individuelle demeure insaisissable, le vrai problème de la liberté est bien celui que nous avons posé à plusieurs reprises:—Jusqu'à quel point et par quels moyens l'idée de la liberté est-elle réalisable au sein même du déterminisme?—C'est à ce problème qu'aboutissent nécessairement tous les systèmes métaphysiques, et c'est sous cette forme seule qu'on peut espérer un rapprochement pratique de ces systèmes. Le problème de la liberté individuelle n'est autre que celui de l'individuation: on ne peut espérer le résoudre théoriquement et métaphysiquement avec certitude; il ne prend de forme scientifique que sous la formule suivante: «Jusqu'à quel point et par quelle série de moyens-termes pouvons-nous nous individualiser?» et aussi, dans l'ordre moral: «Jusqu'à quel point pouvons-nous nous universaliser?»—C'est donc une question de limite à déplacer, une question expérimentale d'évolution et de progrès.

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